Tous les pays de l’OCDE, après la crise du Covid mettent en place des plans de relance de l’économie. Nous pensons que ces plans de relance doivent éviter trois pièges, qui résultent des choix faits en ce qui concerne l’emploi et le marché du travail : le piège du chômage structurel, le piège des entreprises zombie, le piège de la polarisation du marché du travail et du recul de la mobilité sociale.
Premier piège : la hausse du chômage structurel
Le chômage structurel est la partie du chômage qui ne vient pas de la situation cyclique de l’économie, mais de facteurs structurels durables. La première particularité de la crise du Covid est l’importance du recul de l’activité ; en 2020, le PIB devrait baisser de 7% aux Etats-Unis, de 8 ½% dans la zone euro, de 11% en France. Ceci veut dire qu’il y aura, quelles que soient les politiques menées, beaucoup de destructions d’emplois, ce qui génère une perte de capital humain et d’employabilité, donc une hausse du chômage structurel.
Cette situation va être aggravée par une seconde particularité de la crise du Covid : elle conduit à une forte déformation de la structure sectorielle de l’économie. Il faudrait donc être capable de transférer beaucoup d’emplois des secteurs qui vont être durablement en difficulté (automobile, transport aérien, aéronautique, tourisme, distribution traditionnelle) vers les secteurs qui vont être en expansion (services informatiques, télécom, distribution en ligne, santé et pharmacie). Mais ce transfert d’emplois est difficile, les qualifications demandées ne sont pas les mêmes dans les deux groupes de secteurs, ce qui est une source évidente de hausse du chômage structurel si les salariés qui perdent leur emploi dans les secteurs en difficulté ont du mal à obtenir un emploi dans les secteurs en croissance.
Deuxième piège : la multiplication des entreprises zombie
Beaucoup d’entreprises dans les secteurs en difficulté vont devoir licencier. Mais les gouvernements peuvent être tentés d’éviter ces licenciements pour des raisons politiques ou sociales. Les entreprises peuvent alors être soutenues par des prêts garantis par l’Etat, par des subventions, avec l’objectif qu’elles conservent l’essentiel de leurs salariés.
Ceci fabrique des entreprises zombie, surendettées, soutenues par les aides publiques, peu efficaces, investissant peu. Déjà la crise des subprimes a fait passer dans l’ensemble de l’OCDE, la proportion d’entreprises zombie de 7% à 14%. On croit parfois que les crises déclenchent une dynamique « schumpétérienne », en faisant disparaître les entreprises peu efficaces et en reportant les facteurs de production vers les entreprises efficaces. Mais la réalité est tout à fait différente : la crise fait apparaître des entreprises zombie, ce qui fait décliner le progrès technique et la croissance de long terme.
Troisième piège : la polarisation du marché du travail et le recul de la mobilité sociale
Depuis 20 ans déjà, les pays de l’OCDE souffrent de la polarisation croissante du marché du travail : les emplois intermédiaires, en particulier dans l’industrie, disparaissent et sont remplacés un peu par des emplois sophistiqués dans les nouvelles technologies, la finance, la pharmacie..., beaucoup par des emplois peu sophistiqués dans les services aux particuliers, la distribution, le transport, la restauration, la sécurité...
La polarisation du marché du travail fait reculer la mobilité sociale. En effet, la disparition des emplois intermédiaires rend plus difficile l’ascension depuis les emplois peu qualifiés.
On peut effectivement craindre que la crise du Covid amplifie la polarisation du marché du travail et le recul de la mobilité sociale, puisqu’il va y avoir destruction d’emplois industriels (automobile, aéronautique, donc secteurs des biens d’équipement), création d’emplois dans les services à la personne, la logistique, la sécurité.
Comment échapper au triple piège ?
Les plans de relance doivent donc essayer d’échapper au triple piège : hausse du chômage structurel, multiplication d’entreprises zombie, recul de la mobilité sociale. Comment y parvenir ? En théorie, il faudrait d’abord accepter les licenciements dans les secteurs qui seront en difficulté durable, pour éviter les entreprises zombie ; mettre en place un plan de requalification et de retour à l’emploi massif pour tous les salariés concernés, avec maintien du salaire grâce aux aides des Etats, pour éviter la hausse du chômage structurel ; enfin, soutenir la montée en gamme de l’économie dans les secteurs suffisamment haut en gamme : matériel de télécommunication, énergies renouvelables et les équipements associés, pharmacie et santé, services Internet, et faire apparaître des entreprises de grande taille dans ces secteurs.
Dans la pratique, les complications sont multiples : sait-on distinguer une entreprise transitoirement en difficulté d’une entreprise définitivement en difficulté ? Les systèmes de formation peuvent-ils accueillir des centaines de milliers de personnes qui doivent changer de métier ? Les pays sont-ils compétitifs pour attirer les industries et les services haut de gamme, alors de plus qu’il y a rendements d’échelle croissants, qu’il faut une production sur une grande échelle pour être compétitif ?
Patrick Artus est professeur associé à l’École d’économie de Paris et chef économiste de Natixis.
Dernier ouvrage paru aux éditions Odile Jacob : 40 ans d'austérité salariale (27 mai 2020)