La plupart des prévisionnistes pensent que la zone euro ou la France, après avoir connu un fort recul du Produit Intérieur Brut en 2020 (8 ½% de recul du PIB en 2020 dans la zone euro, 11% en France) vont bénéficier ensuite d’une reprise rapide (on parle de reprise en V). On évoque une croissance comprise entre 6% et 7% en 2020 et 2021, ce qui veut dire que la perte de production, par rapport à la tendance antérieure de croissance, serait récupérée en 2 ans.
Cette normalisation très rapide du niveau de revenu, dans la zone euro ou en France, est en réalité très improbable. Elle oublie tous les facteurs qui impliquent que, après une récession, la croissance est durablement faible.
Pourquoi une récession affaiblit durablement la croissance ?
Une récession affaiblit durablement la croissance au travers de plusieurs mécanismes.
Le premier mécanisme est la perte de capital des entreprises, qui résulte de ce que les entreprises investissent peu tant que la récession dure, et aussi de ce que des entreprises et leur capital disparaissent avec les faillites. S’il y a moins de capital dans une économie, la productivité du travail et la croissance potentielle sont affaiblies.
Le second est que les récessions conduisent à une hausse de l’endettement, particulièrement des entreprises et des Etats. Ceci se voit clairement durant la crise du Covid : les Etats s’endettent pour soutenir l’économie par les déficits publics, les entreprises s’endettent pour compenser la perte de chiffre d’affaires. Les achats de dettes publiques par la BCE facilitent le financement des déficits publics et évitent qu’un excès d’endettement public apparaisse. Mais les entreprises, étant plus endettées, vont réduire leurs investissements, leurs embauches, les salaires.
Le troisième mécanisme qui affaiblit la croissance après une récession est la perte de capital humain, liée à la montée du chômage. On sait que le retour à l’emploi est difficile après six mois de chômage ; on sait aussi que la crise du Covid va être particulièrement difficile de ce point de vue. En effet, la structure sectorielle de l’économie va se déformer fortement. Certains secteurs (automobile, transport aérien, aérospatial, distribution traditionnelle, tourisme...) sont probablement durablement en difficulté ; d’autres (Nouvelles Technologies, télécom, distribution en ligne, santé, pharmacie...) seront en croissance. Le nécessaire transfert de l’emploi des premiers secteurs vers les seconds va rendre encore plus difficile le retour à l’emploi, qui nécessitera formation, requalification. On sait aussi que le retour à l’emploi est plus difficile en Europe qu’aux Etats-Unis, avec la régulation du marché du travail qui freine les embauches en Europe. Ceci explique qu’après la crise des subprimes de 2008-2009, le chômage a baissé à partir du début de 2010 aux Etats-Unis, de l’été 2013 dans la zone euro.
La perte de capital humain, dans la zone et en France, due à un chômage durablement élevé après une récession expliquent pourquoi les gains de productivité sont plus faibles après les récessions (dans la zone euro, on passe de 1,5% par an avant la crise des subprimes à 0,8% par an après la crise).
Enfin, le quatrième et dernier mécanisme qui affaiblit la croissance après une récession est la hausse durable de l’aversion pour le risque, qui implique épargne de précaution des ménages, faiblesse de l’investissement et accumulation de réserve de cash par les entreprises.
Ne pas oublier qu’il y a des effets de stock
Même si ce qui déclenche une récession a totalement disparu (plaçons-nous dans l’hypothèse où la pandémie de Covid a disparu, ainsi que toutes les règles sanitaires qui l’accompagnent) l’économie est durablement différente. Ceci vient de ce qu’il n’y a pas que des flux (le flux de production, de consommation...) mais qu’il y a des irréversibilités après une récession qui viennent des effets de stock. Le stock de capital productif est plus faible, le stock de capital humain est plus faible, le stock de dette des entreprises est plus élevé. Les effets de stock changent durablement l’équilibre économique dans le sens d’une croissance plus faible, ce qui rend impossible aujourd’hui le scénario de correction de la crise en 2 ans dans la zone euro ou en France.
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