En réaction à la crise du Covid, les Banques Centrales des pays de l’OCDE ont mis en place des politiques monétaires ultra-expansionnistes, qui permettent en 2020-2021 et peut être même au-delà, aux États de mener des politiques budgétaires aussi expansionnistes qu’ils le souhaitent.
On peut bien sûr se féliciter de ce choix de politique économique, qui évite une hausse massive du chômage et des faillites d’entreprises, qui permettra de financer dans le futur une relance intelligente des économies.
Mais on ne semble pas s’inquiéter aujourd’hui des conséquences négatives de ces choix, qui sont en réalité effrayantes, et qui sont très peu mentionnées alors qu’elles risquent de déstabiliser durablement les économies et les sociétés.
Un choix radical de politique économique
En réaction à la crise du Covid, les Banques Centrales des pays de l’OCDE ont mis en place des politiques monétaires ultra-expansionnistes : l’offre de monnaie fournie par les Banques Centrales va passer, de janvier à décembre 2020, de 14 000 à 25 000 milliards de dollars, soit une hausse de 80% en un an. Ceci permet aux États de mener sans difficulté des politiques budgétaires très expansionnistes : malgré un déficit public de 14% du PIB attendu en 2020 pour l’ensemble des pays de l’OCDE, les taux d’intérêt à long terme sont restés très bas (0,3% pour le taux d’intérêt à 10 ans sur les dettes publiques pour l’ensemble de l’OCDE). Sans cet accompagnement monétaire, il aurait été impossible de mener ces politiques budgétaires massivement expansionnistes.
Cette politique sera probablement poursuivie en 2021, les déficits publics resteront très élevés, et la BCE s’est déjà engagée à maintenir ses achats de dettes au moins jusqu’en juin 2021.
Cette politique a évité une situation catastrophique
Les déficits publics massifs ont compensé complétement la perte de revenu due à la crise, et sont même allés au-delà. La hausse du déficit public des pays de l’OCDE (4% du PIB attendu avant la crise, 14% du PIB aujourd’hui, soit 10 points de PIB de hausse du déficit) l’emporte sur la perte de PIB par rapport à ce qui était prévu avant la crise (7% du recul du PIB en 2020 contre une croissance de 2% attendue, soit une perte de revenu de 9 points de PIB). Sans ce soutien massif des entreprises et des ménages, le taux de chômage aurait augmenté beaucoup plus (son pic devait être de 14% aux États-Unis et 10% environ dans la zone euro), le nombre de faillites d’entreprises aurait été beaucoup plus élevé (le taux de défaut devrait atteindre 4% à la fin de l’année 2020 pour l’ensemble de l’OCDE, contre 7% en 2009, avec pourtant un recul de l’activité beaucoup plus grave en 2020 qu’en 2009).
Après la crise, cette politique économique permettra aussi de financer une relance « intelligente » de l’économie, par les investissements dans les industries d’avenir, le soutien des secteurs en difficulté, la requalification des salariés ayant perdu leur emploi, la transition énergétique (à laquelle il faudrait consacrer 2 points de PIB d’investissements supplémentaires chaque année).
Mais la politique économique mise en place est aussi effrayante
On ne semble pas s’inquiéter aujourd’hui des conséquences du choix fait de monétiser complétement un déficit budgétaire massif. Ce choix a l’air d’aller de soi et de ne poser aucun problème. Pourtant, il a des effets négatifs violents.
Il s’agit d’abord de la disparition complète de la discipline de marché concernant les politiques budgétaires. Les gouvernements, et ils l’ont bien compris, peuvent augmenter, en 2020 et 2021, sans limite les déficits publics, les émissions de dette publique correspondants étant achetées intégralement par les Banques Centrales. On a alors vu apparaître un déficit public de 19% du PIB aux Etats-Unis, 15% du PIB au Royaume-Uni, plus de 11% du PIB en France et en Espagne, 10% du PIB en Italie, et probablement un déficit public encore massif en 2021, chaque besoin étant immédiatement couvert par une nouvelle dépense publique.
On voit ensuite déjà apparaître des bulles sur les prix des actifs (redressement rapide des cours boursiers, investissements massifs dans l’immobilier, les dettes des pays émergents, la logistique et les infrastructures...). Il y aura généralisation des bulles, l’excès de monnaie créé étant utilisé par les épargnants et investisseurs pour acheter d’autres actifs financiers et immobiliers, donc instabilité financière, coût élevé du logement, hausse des inégalités de patrimoine...
Il y aura aussi volatilité excessive de mouvements de capitaux, de plus en plus grande taille et alimentés par la liquidité, entre devises et entre les différentes classes d’actifs.
Il y aura enfin constitution de rentes ; des rentes financières et immobilières avec la hausse sans fondement des prix des actifs financiers et des prix de l’immobilier ; des rentes de monopole, puisqu’il est établi que les taux d’intérêt très bas et l’abondance de liquidité favorisent la concentration des entreprises, l’apparition d’entreprises ayant des positions dominantes.
Ceci vient de ce que la politique monétaire très expansionniste favorise les acquisitions en réduisant le coût de la dette et en accroissant beaucoup la valeur boursière des entreprises les plus performantes.
Ce choix de politique économique est stabilisant à court terme mais est aussi effrayant
Certes, la monétisation intégrale des déficits publics très importants a beaucoup réduit les désordres liés à la crise du Covid (perte de revenu, chômage, faillites) et permettra de relancer intelligemment les économies (investissements dans des secteurs stratégiques, transition énergétique, recherche, éducation et formation).
On peut donc se féliciter du choix fait de politique économique. Mais il ne faut pas oublier le coût effrayant de ce choix : disparition des limites aux déficits publics, bulles sur les prix des actifs, mouvements de capitaux erratiques, constitution de rentes (financières, immobilières, de monopole). Il n’y a pas de remède miracle à une crise sans coût et le coût, perdu de vue aujourd’hui, de la monétisation massive des déficits publics risque d’être très important.
Patrick Artus est professeur associé à l’École d’économie de Paris et chef économiste de Natixis.
Dernier ouvrage paru aux éditions Odile Jacob : 40 ans d'austérité salariale (27 mai 2020)