On parle souvent, et on espère, d’une vague de relocalisations industrielles en France depuis les pays émergents. Il en résulterait un redressement du poids de l’industrie, de l’emploi industriel, du niveau de gamme de la production en France. Mais faut-il espérer réellement beaucoup de relocalisations ?
D’abord un premier constat. La France a un déficit commercial important pour les produits industriels, mais ce déficit se situe exclusivement vis-à-vis des pays développés de l’OCDE, et plus précisément vis-à-vis des pays développés européens, absolument pas vis-à-vis des pays émergents. Ceci montre que les délocalisations vers les émergents, la globalisation, ne sont absolument pas les causes de la désindustrialisation de la France. La désindustrialisation de la France résulte donc de la perte de compétitivité de la France vis-à-vis des autres pays développés, et en particulier vis-à-vis des autres pays de l’Europe de l’Ouest. Il s’agit à la fois d’une dégradation de la compétitivité-coût de la France, et d’une dégradation de la compétitivité non-coût (compétences de la population active, niveau de gamme de la production). Il n’y a donc pas eu de délocalisations excessives vers les pays émergents. Intéressons-nous ensuite à la nature des possibles relocalisations, en partant de trois remarques.
La première remarque est que la stratégie de croissance de la France doit être de monter en gamme, puisqu’il n’y a pas de place possible pour une politique de développement du bas de gamme compte-tenu des coûts de production en France. Cette stratégie de montée en gamme est d’ailleurs déjà en place. On prend souvent l’exemple de la délocalisation de la production de médicaments et de principes actifs de médicaments ; mais la France a délocalisé le bas de gamme de cette industrie et a conservé le haut de gamme, et a un excédent commercial pour ces produits y compris vis-à-vis de la Chine.
La deuxième remarque est que, dans le monde contemporain, il y a très souvent des rendements d’échelle croissants dans l’industrie. Avec des coûts fixes très importants (recherche-développement, commercialisation...), plus la production est de grande taille, plus les coûts unitaires sont faibles, et plus l’entreprise est compétitive. Une relocalisation de petite taille couvrant une faible partie des besoins de production, serait donc inefficace.
La troisième remarque est simplement que les coûts de production sont beaucoup plus élevés en France que dans les pays émergents (dont la Chine), avec un rapport de 2 à 1 pour les coûts salariaux unitaires. La relocalisation en France de toutes les productions de composants, de pièces, délocalisées augmenterait le niveau de prix de 5% en France, donc réduirait le pouvoir d’achat de 5%.
Tout ceci nous pousse à conclure que les relocalisations en France depuis les pays émergents seront probablement de petite taille.
Il y a en fait deux types bien différents de relocalisations.
Les premières viennent de choix publics de l’Etat : il peut vouloir produire en France des produits considérés comme stratégiques. S’il s’agit de produits qui sont de fait bas de gamme (paracétamol, masques...), il faut alors comprendre que la production en France devra être perpétuellement subventionnée compte-tenu du niveau des coûts salariaux en France. Il ne peut donc s’agir que d’une liste courte de produits.
Les secondes viennent de choix privés des entreprises. Elles considèrent de plus en plus que les chaînes de valeur mondiales sont trop fragiles, puisque certains composants ne sont produits que par un nombre très faibles de sous-traitants, elles veulent donc réduire la concentration des chaînes de valeur, ce qui conduit au retour à des chaînes de valeur régionales. Mais s’il y a alors retour de productions de l’Asie par exemple vers l’Europe, où seront les relocalisations ? Très probablement dans les pays d’Europe Centrale, en Afrique du Nord (Maroc...), qui fait clairement partie de la région économique Europe et assez peu en France, sauf si une automatisation, une robotisation fortes peuvent être réalisées.
Au total, qu’attend-on comme relocalisations en France ? Certaines relocalisations stratégiques, y compris bas de gamme, désirées par l’Etat. En ce qui concerne les relocalisations spontanées, elles concernent surtout, comme on l’a vu, des productions haut de gamme, automatisables, et qui peuvent devenir de grande taille pour bénéficier des rendements d’échelle croissants. Compte-tenu du niveau des coûts salariaux en France, il est difficile de croire à un scénario de relocalisations plus vastes.
Ce mouvement de relocalisations va donc probablement être d’assez faible taille, pas d’une portée macroéconomique importante.
Patrick Artus est professeur associé à l’École d’économie de Paris et chef économiste de Natixis.
Dernier ouvrage paru aux éditions Odile Jacob : 40 ans d'austérité salariale (27 mai 2020)