Je pratique et enseigne la danse-rythme-thérapie depuis plus de 20 ans dans des hôpitaux ou auprès des particuliers et je suis convaincue que l’efficacité de cette médecine alternative tient d’abord au rythme; rien de tel pour réveiller les énergies du corps, stimuler le sytème immunitaire, renforcer les défenses, renouveler les pulsions de vie. Déjà, le mouvement est une dépense physique bénéfique, il détend ; mais pour soigner il faut du rythme, un rythme fort, capable de faire barrage à l’ennemi et chasser les forces mortifères pour faire place à la joie.
C’est à partir d’une technique créée par un danseur et chorégraphe haïtien, Herns Duplan, qui l’a nommée « expression primitive », que j’ai fondé la danse-rythme-thérapie après avoir étudié pour ma thèse de nombreux rituels thérapeutiques dansés, traditionnels, tribaux ou chamaniques. Le rythme y est toujours présent, faisant ressortir fortement la pulsation, qui est le plus familier, le plus naturel, le plus universel des rythmes, celui du battement du coeur. Sous sa forme la plus « primitive », la plus proche acoustiquement du battement cardiaque, la pulsation est frappée sur le tambour par les chamanes, qui entrent alors en extase ; elle soutient le rythme des danses de possession d’Afrique où les divinités descendent s’incarner dans des humains. Et aujourd’hui, devenue le beat électronique, elle induit la transe de millions de jeunes et moins jeunes sur toute la planète.
Depuis les temps préhistoriques, la pratique de la transe pour soigner s’est poursuivie dans la plupart des cultures. L’Occident l’a rejetée, réduisant la danse à une fonction de divertissement. Il fallait lui restituer sa fonction thérapeutique, en inscrivant dans la sensibilité et les valeurs d’aujourd’hui certains des outils traditionnels dédaignés depuis des siècles : le rythme, le rituel, la transe, la résonance, le choeur, le sens…
Le rythme
Le tambour joue la pulsation. Elle réveille immédiatement chez celui qui l’écoute une énergie latente jaillissant en mouvements rythmés. L’auditeur devient spontanément danseur, comme on peut le voir aussi dans les grands concerts rock où les bras levés balancent tous ensemble, formant une grande vague dansante.
La danse-rythme-thérapie s’appuie sur cette capacité de réponse spontanée, mais elle n’est pas le défoulement d’une gestuelle débridée. Le rythme, c’est de l’énergie, mais aussi un cadre, une structure, dont l’ordre premier est la répétition périodique, l’oscillation du battement du coeur, « imité » dans le son et dans le mouvement. Sa répétition permet d’ordonner le mouvement, de le ritualiser tout en lui gardant sa structure naturelle. De plus, elle crée une résonance, redoublée par le groupe lorsqu’il effectue des mouvements synchrones, en choeur.
La transe
Sous l’effet de la répétition et de la résonance, l’énergie et la forme du mouvement s’amplifient, ce qui joint à l’effet hypnotique de la répétition, conduit à la transe. Depuis les temps préhistoriques, le rythme est un véhicule de transe privilégié. La transe dansée, c’est l’enthousiasme (« le dieu en soi »), l’expérience d’être traversé par une énergie inconnue, le bonheur de se sentir intensément vivant, accordé avec ce qu’on est au plus profond de soi, qu’on découvre plus vaste qu’on ne pensait.
L’homme a toujours recherché la transe, cet état de conscience élargie où la réalité est « augmentée » comme le sont capacités du corps et celles de l’esprit, qui devient inspiré, imaginatif, créatif, artiste…
L’Occident, champion de la raison logique, l’a longtemps exclue mais lui ouvre aujourd’hui les bras avec la pratique de l’hypnose ou celle de la méditation
qui sont des pratiques spirituelles mais adogmatiques, non religieuses. Il en est de même pour la danse.
Le sens
Le danseur en transe perçoit dans le rythme l’ordre cardio-respiratoire qui crée la vie ; dans le mouvement, l’ordre du corps humain : bipédie, marche, verticalité, symétrie ; dans la concordance des deux ordres superposés, sa propre nature, l’homme vivant, trait-d’union entre la terre et le ciel, entre le corps et le symbole. Les mouvements sont répétitifs et évocateurs, ce sont des signes. Ils « parlent » au danseur, et ils insistent pour en être entendus, pour qu’il y découvre du sens, cet ensemble de sensations, d’émotions et de pensée.
Tout le dispositif de la danse-rythme-thérapie conduit au sens : par la répétition, les mouvements deviennent réflexes, ils se déploient et se replient automatiquement, reviennent, recommencent, renaissent, continuent, tenaces, rebondissent sans cesse. Cet automatisme hypnotique repose le danseur de l’effort de la pensée, il est là et ailleurs, absent et présent, il pense sans penser, et cette méditation dynamique laisse place à l’inconscient. Dans la forme répétée du geste apparaît alors le sens, ce qu’il dévoile au danseur : lui-même, sa nature humaine qu’il partage avec tous et sa singularité inscrite dans cet universel.
L’articulation du Je et du Nous, l’intelligence collective pour nous sauver, si c’est encore possible, n’est-elle pas la question fondamentale aujourd’hui ? Aussi comment conclure autrement qu’en laissant la parole à Pina Bausch, grande chorégraphe moderne qui s’écriait peu avant sa mort : « Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus ».
Psychanalyste et danse-thérapeute, France Schott-Billmann enseigne l’art-thérapie à l’université de Paris-V.
Dernier ouvrage publié aux éditions Odile Jacob : Le besoin de danser (2001)
Prochaine parution (juin 2020) : La Thérapie par la danse rythmée
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