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Quatre mécanismes derrière une modification de la structure de la demande après la crise du coronavirus
Le premier mécanisme est la hausse de l'aversion pour le risque, l'incertitude
Comme on l'avait déjà observé après les récessions du passé, et en particulier après la crise des subprimes de 2008-2009, une forte crise fait apparaître une hausse durable de l'aversion pour le risque, de l'incertitude concernant l'avenir, ce qui est compréhensible puisque la crise génère faillites, hausse du chômage, perte de revenu.
Or, si les entreprises et les consommateurs présentent une aversion pour le risque plus forte et éprouvent de l'incertitude concernant l'avenir, leur réaction naturelle sera de se désendetter, de renoncer à des nouveaux crédits. On devrait donc voir apparaître après la crise un recul de tous les postes de la demande liés au crédit : investissements des entreprises, achats de logements des ménages, achats de biens durables, comme les automobiles, des ménages.
Ceci pénaliserait aussi l'industrie des biens intermédiaires, qui a comme débouchés la production de voitures, de biens d'équipement, de logements. Il y aurait donc un total report de la demande des biens durables, au sens large, vers les biens non durables (habillement, luxe, agro-alimentaire, services à la personne...).
Le deuxième mécanisme est un recul durable du tourisme
Le tourisme à longue distance, en particulier, risque d'être pénalisé par le risque de retour de l'épidémie ; les restrictions durables à la circulation des personnes. Cette évolution est bien sûr défavorable au secteur du tourisme, mais aussi au transport aérien, à la construction d'avions.
Le troisième mécanisme est une hausse durable de la part de marché de la distribution en ligne
Avec l'habitude prise durant le confinement d'utiliser la distribution en ligne à la place de la distribution traditionnelle, on devrait voir, ce qui semble s'observer en Chine, le maintien d'un poids très élevé de la distribution en ligne, ce qui pourrait changer la nature de la consommation particulièrement dans les pays ou le poids du e-commerce est encore faible (comme la France, 10% des achats). Cette évolution serait favorable aux entreprises de commerce en ligne, mais aussi aux industries des télécommunications, des moyens de paiement, de la logistique.
Le quatrième mécanisme est une préoccupation accrue pour le long terme après la crise
Partant de l'impréparation des systèmes de santé, un mouvement favorisant un poids accru sur les questions de long terme apparaît clairement. Il devrait logiquement en résulter une hausse des dépenses de santé, de pharmacie, d'éducation, de formation ; un passage plus rapide aux énergies renouvelables.
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Une tentative de séparation entre les secteurs gagnants et perdants après la crise du coronavirus
Ce qui précède pousse à penser (avec le passage des biens durables vers les biens non durables, les difficultés du tourisme, la hausse de la part de marché de la distribution en ligne ; la préoccupation accrue pour le long terme) qu'il y aura une déformation durable après la crise du coronavirus de la structure de la demande vers la pharmacie et la santé, les télécommunications et les nouvelles technologies, le textile et l'habillement, l'agriculture et l'agroalimentaire, les services à la personne, l'éducation, et au détriment des biens d'équipement du matériel de transport (avions, voitures), de la distribution traditionnelle, de la construction, des biens intermédiaires, des hôtels-restaurants et des loisirs.
La situation du transport et de l'énergie est ambiguë, avec une partie favorisée (logistique, énergies renouvelables), une partie pénalisée (transport associé au tourisme, énergies fossiles).
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Un risque de désajustement (de mismatch) sur le marché du travail
On peut donc attendre une déformation forte de la structure de la demande et donc des emplois après la crise du coronavirus. On connait alors les risques : un désajustement entre la nature des emplois créés et les qualifications disponibles, la nécessité de changer de secteur d'activité et de requalifier beaucoup de salariés.
Ces désajustements et ces réallocations d'emplois peuvent conduire à une hausse du chômage structurel (indépendant du cycle économique) et à une baisse du taux de participation (de la proportion de la population en âge de travailler qui se présente sur le marché du travail), avec la difficulté qu'auront certains salariés à retrouver un emploi, avec le fait que certaines personnes dont les emplois disparaissent peuvent se retirer du marché du travail.
Patrick Artus est professeur associé à l’École d’économie de Paris et chef économiste de Natixis.
Dernier ouvrage publié aux éditions Odile Jacob : Discipliner la finance (mai 2019)